Dans son éditorial du 11 novembre, M. André Pratte nous expose sa compréhension du principe d’universalité d’un programme social, comme celui offert par le réseau des services de garde, qu’il compare à ceux qu’offrent les réseaux de santé ou d’éducation au Québec. Je soumets que M. Pratte a une compréhension erronée de ce principe fondateur qui, ici comme dans plusieurs autres démocraties libérales, a inspiré la mise sur pied de ces programmes.
La décision de financer par des fonds publics des services de garde financièrement accessibles au Québec s’inscrit dans une politique beaucoup plus large qui vise à aider les familles qui choisissent d’élever des enfants. Nos gouvernements ont jugé avec raison que cette activité humaine fondamentale est essentielle pour la prospérité de toute la société québécoise, y compris pour celles et ceux qui n’ont pas d’enfants ou qui ne profitent pas de ce programme. Même si « seulement » 210 000 familles en « profitent », pour reprendre les sens des mots utilisés par M. Pratte, il demeure que ce sont 210 000 familles différentes qui l’utilisent, année après année, soit une rotation d’environ 50 000 familles par année! Au bout de vingt ans, on doit plutôt évoquer le chiffre d’un million de familles bénéficiaires de ces services.
L’universalité des services publics ne s’évalue pas en fonction de leur utilisation. S’il est éminemment souhaitable que nous passions tous par le système d’éducation, il ne nous viendrait pas à l’esprit de demander que tous aient recours aux services spécialisés pour les enfants en difficulté. Pourtant, nous sommes tous d’accord pour que ces services soient accessibles aux enfants qui en ont besoin, et ce sans pénalités financières pour leurs parents. C’est la même chose lorsque vous évoquez le réseau public de la santé et des services sociaux. Personne ne souhaite être malade et tous éviteraient l’hôpital s’ils le pouvaient. Mais ce n’est pas ça la réalité! Est-ce qu’il viendrait à l’esprit d’une personne raisonnable de remettre en question sa contribution fiscale au système de santé parce qu’elle a eu la chance d’être épargnée d’un séjour non désiré à l’hôpital? Bien sûr que non!
Cependant, pour que ce principe soit véritablement applicable avec justice, il faut que les moyens financiers investis dans ces réseaux soient suffisants pour répondre à la demande. Les compressions imposées par nos politiciens qui n’ont que le déficit zéro comme vision de société sabordent dans les faits les objectifs de tous les programmes sociaux universels. Ces coupes budgétaires provoquent des listes d’attente pour une opération ou pour une place dans un CPE. C’est pourquoi ces services dits universels doivent être accessibles également à tous les citoyens qui les demandent, qu’ils soient riches ou pauvres. Bien sûr, je crois que la gratuité de tels services doit être la règle d’or pour en assurer l’accessibilité en fonction des besoins. Cependant, le prix journalier historiquement fixé pour les services de garde ne doit pas être modulé d’aucune manière. Ce n’est sûrement pas une coïncidence si l’occupation des services de garde a augmenté en flèche avec l’introduction d’un tarif unique en 1996.
La contribution financière aux programmes sociaux universels doit s’effectuer selon les moyens de chaque citoyen, mais en passant uniquement par la fiscalité générale, soit par l’impôt sur le revenu ou par des taxes en fonction de la richesse du patrimoine. Imposer un tarif modulé en fonction du revenu pour l’utilisation de chaque service comme ce qui est proposé par les rumeurs que laisse circuler le gouvernement créerait une fonction bureaucratique coûteuse, inutile et tatillonne, et ce même si on le faisait par le biais de la déclaration d’impôt. Cela introduirait surtout un accroc au principe d’universalité qui mécontenterait sérieusement les familles de la classe moyenne financièrement un peu plus à l’aise qui se verraient forcées à une telle contribution supplémentaire, et ce parce qu’elles voudraient utiliser un service public pour leur enfant. Cela pourrait même les inciter à envoyer leur enfant dans une garderie non subventionnée compte tenu de la réduction des écarts de prix qui en résulterait. Ces familles se sentiraient ensuite légitimées de venir grossir les rangs de ceux et celles qui remettent en question ces programmes sociaux parce qu’ils n’en profitent pas, et ce à l’instar du raisonnement que propose M. Pratte! Est-ce cela que le gouvernement désire? Finalement, M. Pratte ne mentionne pas que ce sont surtout les femmes qui payeraient le prix d’un accès ainsi limité au réseau des services de garde. J’imagine que c’est parce qu’il sait que cela va de soi!
Jeff Begley
Président de la Fédération de la santé et des services sociaux (CSN)