Lettre ouverte publié dans la Presse + par Caroline Senneville, présidente de la CSN, et Lucie Longchamp, vice-présidente de la Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS–CSN)
Au terme d’une démarche judiciaire qui aura duré près de six ans, la Cour d’appel a rendu son jugement le 7 février dernier concernant l’exclusion des demandeurs d’asile du programme d’accès aux services de garde subventionnés. Cette décision, que nous avons saluée, est sans équivoque : l’exclusion en question, en plus de porter atteinte au droit à l’égalité, constitue une mesure discriminatoire, particulièrement envers les femmes. Mais, coup de théâtre : voilà que le gouvernement Legault, dans un acte qui s’apparente vraisemblablement à de l’acharnement judiciaire, veut porter la cause jusqu’en Cour suprême, en demandant du même souffle à la Cour d’appel un sursis d’application de son jugement.
Encore une fois, ce sont les femmes, leurs familles et leurs enfants qui seront les premiers à subir les frais de cet acharnement. À défaut de pouvoir bénéficier d’un tarif à contribution réduite pour pouvoir envoyer leurs enfants dans un milieu de garde éducatif, ce sont ces demandeuses d’asile qui, trop souvent, seront contraintes de faire le choix difficile de demeurer à la maison pour assurer la garde de leurs enfants.
Le manque de vision globale du gouvernement dans de telles circonstances est à la fois révoltant mais aussi alarmant : quelle meilleure façon d’intégrer les demandeurs d’asile et leurs enfants que de leur permettre, comme à tous les autres Québécois.es, d’avoir accès au réseau des services de garde éducatifs à l’enfance que sont nos CPE et nos services éducatifs en milieu familial ?
Le modèle gagnant n’a pas à être inventé, il existe déjà : les CPE sont des milieux de garde éducatifs de qualité dont la renommée n’est plus à faire. Lorsqu’on les compare aux garderies privées (subventionnées ou non), les CPE offrent un milieu où prime exclusivement la qualité éducative, et non le profit; exactement ce dont les familles de demandeurs d’asile ont besoin.
De leur côté, les responsables de services de garde en milieu familial (RSGE), de par leur lien de proximité et la petite taille des groupes de leurs milieux de garde, pourraient accueillir les enfants des demandeurs d’asile et faciliter leur arrivée dans leur nouvelle société d’accueil. À Montréal comme partout ailleurs au Québec, nos membres se disent prêtes à en accueillir.
En ayant accès aux places en CPE et en RSGE, ces enfants obtiendraient donc le meilleur du modèle québécois des services éducatifs pour, entre autres, l’apprentissage du français, la familiarisation avec la culture québécoise et la préparation à la maternelle 5 ans. Pour les parents, ces lieux s’avèrent également d’excellents lieux de socialisation où ils pourraient développer un réseau de contact de proximité, tisser des liens d’amitié, en plus de bâtir des liens avec leur société d’accueil et être informés des services auxquels ils ont droit. Mais soyons clairs : il n’est pas question ici de demander des passe-droits pour quiconque, mais bien de permettre à des personnes réfugiées en attente d’une décision de s’inscrire comme tout le monde aux différents services publics de base.
Bien entendu, des demandeurs d’asile qui peuvent envoyer leurs enfants dans un milieu de garde subventionné et obtenir rapidement un permis de travail ne demanderont rien de mieux que d’entrer sur le marché de travail, contribuant ainsi à résoudre, d’une pierre deux coups, deux problèmes pourtant jugés si importants pour le gouvernement : la pénurie de main-d’œuvre et la baisse du fardeau économique découlant de l’accueil des demandeurs d’asile.
Il manque effectivement de places pour répondre aux besoins de garde dans le réseau, une situation que nous décrions depuis longtemps. Mais s’acharner sur les demandeurs d’asile n’est pas la solution. Les solutions sont pourtant connues :
- D’abord, faire lever de terre rapidement de nouveaux CPE. Prioriser le développement des places en CPE plutôt qu’en garderies privées subventionnées. Le gouvernement s’est donné toute la marge de manœuvre pour construire lui-même les CPE, en promettant depuis qu’il est au pouvoir de « compléter le réseau ». Voilà maintenant près de six ans qu’il est au pouvoir et on peine toujours à répondre à la demande. Le gouvernement peut et doit agir.
- Ensuite, hausser significativement et rapidement les conditions de travail des éducatrices qualifiées de manière à rendre la technique d’éducation à l’enfance plus attrayante. C’est de cette façon que le gouvernement pourra régler durablement la pénurie d’éducatrices qualifiées qui perdure depuis déjà trop longtemps.
- Enfin, mettre à contribution les bureaux coordonnateurs pour diriger les familles de demandeurs d’asile vers les RSGE en milieu familial disponibles et poursuivre le rehaussement des conditions de ce modèle qui répond parfaitement aux exigences que peuvent avoir de jeunes parents.
La FSSS représente près de 15 000 travailleuses et travailleurs en CPE œuvrant dans les services de garde éducatifs à l’enfance, soit la majorité des éducatrices en CPE et des responsables de services de garde en milieu familial. La CSN représente 330 000 travailleuses et travailleurs partout au Québec.