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    • 15 OCT 21
    Vaccination obligatoire : un débat qui est en train de déraper, faute de données et de volonté de travailler ensemble

    Dans ce billet de blogue, Jeff Begley revient sur le débat sur la vaccination obligatoire.

    « Bien, je pense que vous avez le tour des arguments. Mais j’ajouterais le fait d’avoir un rôle exemplaire vis-à-vis de l’ensemble de la société. Donc, c’est moins un enjeu épidémiologique que le fait de dire : Bien, tout le monde devrait aller chercher la vaccination. Mais si les travailleurs de la santé y vont complètement, ça montre le signal que c’est essentiel pour tout le monde d’aller chercher la vaccination. »

    – Richard Massé, Conseiller médical stratégique auprès du directeur national de la Santé publique, le 26 août 2021 lors de la commission parlementaire.

    Permettez-moi de répéter le bout souligné ci-dessus. « C’est moins un enjeu épidémiologique… Mais si les travailleurs de la santé y vont complètement, ça montre le signal que c’est essentiel pour tout le monde d’aller chercher la vaccination. »

    Malgré cette étonnante admission de la santé publique lors de la commission parlementaire, le gouvernement et la majorité des commentateurs bien en vue ne parlent jamais de ça.

    Ceci dit, et comme nous appelait à le faire le Dr Massé, notre organisation et nos membres ont bien compris que la vaccination demeurait le meilleur moyen de nous sortir de la pandémie. Nous avons très bien compris que nous avions notre rôle à jouer pour accroitre le taux de vaccination au Québec. Depuis le début de la campagne de vaccination, nous avons fait un travail immense pour informer nos membres et les inviter à se faire vacciner. Et on a réussi ! Rappelons-nous que les taux de vaccination étaient très faibles au début de la campagne dans nos réseaux. Nous avons fait le tour des régions et avons mis bien des efforts pour freiner les hésitations à la vaccination. Résultat : nous sommes maintenant plus de 96 % de travailleuses et travailleurs vaccinés dans le réseau qui ont au moins une dose.

    Soyons très clairs, c’est une excellente nouvelle que notre taux de vaccination soit si élevé et nous continuons d’encourager notre monde à se faire vacciner et nous continuerons d’y travailler. La question des personnes hésitantes à se faire vacciner suscite un débat qui divise et qui demande une énergie de tous les instants pour nos syndicats. La vaste majorité de nos membres est vaccinée et une majorité de nos membres est en faveur de la vaccination obligatoire. Comme organisation syndicale, on se doit d’entendre les préoccupations de notre monde. Et sur cette question, ça implique à la fois de le faire pour celles et ceux qui sont vaccinés que pour celles et ceux qui ne le sont pas.

    Or il y a beaucoup d’inquiétudes et de préoccupations à ce sujet. Bien du monde sur le terrain redoute les effets du départ des non-vaccinés. Leur charge de travail n’a déjà pas d’allure en temps normal et ils ont peur de se retrouver encore plus en surcharge. Pourtant, le dépistage régulier avait montré ses bienfaits. Rappelons d’ailleurs que c’est la voie qu’a choisie l’Ontario et qui est en place avec succès au Québec depuis le mois d’avril. Le ministre Dubé annonce d’ailleurs retourner à cette solution jusqu’au 15 novembre. Cela nous ramène à la question que pose la citation du Dr Massé, à savoir si on peut contrôler efficacement l’épidémie avec des moyens supplémentaires à la vaccination, le tout pour ne pas avoir à se priver de ces milliers de ressources dont nous avons toutes et tous tant besoin.

    Mais il n’y a pas de transparence sur les données de la part du gouvernement, notamment sur l’efficacité des 3 tests par semaine et nous ne pouvons donc pas évaluer l’efficacité de cette mesure avec précision. Il me semble qu’un gouvernement assuré de son approche s’organiserait pour donner des statistiques précises sur la situation des éclosions des dernières semaines. Il travaillerait à démontrer, si tel est le cas, qu’il n’est pas possible de contrôler la transmission dans les milieux de travail de la santé en utilisant les tests de dépistage et les autres mesures de prévention, comme le masque N-95. Y a-t-il eu des cas de transmission entre personnel ou entre personnel et usagers ces dernières semaines ? Nous ne le savons pas. Avoir un portrait clair et précis sur cette question serait bien éclairant. Dans un débat émotif, il est très aidant de partager une analyse basée sur les données. Pourquoi le gouvernement préfère-t-il maintenir le débat au niveau émotif et non sur l’analyse réelle de ce qui se passe sur le terrain ?

    Le gouvernement est forcé cette semaine d’annoncer le report de l’entrée en vigueur de la vaccination obligatoire au 15 novembre. Le risque des bris de services est trop élevé. Sur ça, il n’y a pas d’ambiguïté et c’est la chose à faire. Le réseau est à terre depuis des mois, voire des années. Perdre des milliers de bras dans ce contexte ne peut faire que de freiner l’accès aux services. Dommage d’ailleurs que les employeurs et le gouvernement ne nous aient pas transmis les plans de contingence. C’est encore une démonstration du manque de transparence dans notre réseau.

    D’ici au 15 novembre, le gouvernement doit s’atteler à régler le problème numéro 1 dans le réseau : le manque de personnel. Et pour ça, il doit améliorer les conditions de travail au plus vite.

     

    En rencontre pour faire le point avec nos syndicats

    N’ayant pas de données fiables sur la réelle situation, nos syndicats sont dépourvus pour faire un débat avec les personnes qui sont réticentes ou récalcitrantes. Lors de notre réunion avec les syndicats cette semaine, il était frappant de voir le peu de partage des plans de contingence par les employeurs. C’est complètement inacceptable de laisser nos syndicats faire face aux préoccupations de nos membres, tout en cachant les données fondamentales pour avancer sur cette question de la vaccination obligatoire.

    Baisser les tensions nécessite qu’on ait une compréhension commune. Sinon, il est évident que la méfiance va s’installer davantage. Il nous semble qu’il n’est absolument pas le moment d’augmenter la méfiance inutilement, à moins d’avoir intérêt à augmenter la méfiance sur le terrain.

     

    Un débat difficile sur la place publique, particulièrement dans l’absence de faits

    Depuis le début, nous avons dit et répété que la vaccination est un moyen majeur pour réussir à mettre la pandémie derrière nous. Mais nous avons aussi rappelé sans cesse que ce n’est pas le seul et qu’il ne faut surtout par réduire les autres mesures de protection comme le fait pourtant le gouvernement.

    Depuis le début de la pandémie, le moins qu’on puisse dire, c’est que le gouvernement a manqué son coup pour bien protéger le personnel. Nous avons le pire bilan au Canada en la matière. La vaccination nous aidera certes à faire face à la pandémie, mais la ventilation, le dépistage, l’utilisation des bons EPI et les autres mesures de protection sont aussi essentiels. Par contre, c’est impressionnant de voir que ces mesures, aussi essentielles pour protéger personnel et usagers, ne soulèvent pas les passions.

    Pour ce qui est des contestations, nous avons été transparents dès le départ et avons indiqué que si le gouvernement allait de l’avant, il est évident qu’il y aura des contestations. Ce n’est pas tant une question de position syndicale, comme le laissent entendre plusieurs commentateurs, peut-être pas au fait que le Code du travail, pour l’heure, nous y oblige. Donc pour nous, la question ne se pose pas. Et ce n’est clairement pas le point sur lequel on a mis l’accent quand on a pris la parole. On a d’ailleurs dit à notre monde qu’il y aura des contestations oui, mais selon l’évolution des dossiers au cas par cas en expliquant clairement la difficulté et les critères complexes à rencontrer pour supporter d’éventuels recours. Prétendre qu’on brandit la menace généralisée de recours, c’est non seulement ne pas connaitre l’environnement légal dans lequel nous évoluons, mais c’est aussi faire preuve d’une grossière exagération.

    Il reste 14 000 personnes toujours non-vaccinées dans le réseau public. Et on n’a pas de chiffres sur la situation dans les établissements privés. Si on continue sur la même trajectoire que depuis la commission parlementaire, je crains beaucoup que nous allons avoir sensiblement le même résultat dans un mois. Au ministre Dubé de décider s’il préfère continuer d’aller tout seul ou non.

    Jeff Begley
    Président de la FSSS-CSN