Le nouveau ministre de la Santé et des Services sociaux, Gaétan Barrette, convoitait ce fauteuil depuis de nombreuses années. Il a sans aucun doute une vision plus précise des changements qu’il souhaite apporter que celle qui était mise de l’avant par le PLQ durant la campagne électorale. Je ne me bercerai pas d’illusions sur la nature de ses intentions, mais ce que je souhaite, c’est qu’il adopte une attitude d’ouverture à ce que les intervenants, comme nos syndicats, auront à lui dire. Car les solutions qui fonctionnent dans le réseau ont toutes un point en commun : elles rallient les travailleuses et les travailleurs, elles sont pragmatiques, bien plus qu’idéologiques.
La pile de dossiers qui attend le ministre est haute. En tant que président d’une fédération syndicale présente dans tous les départements de tous les types d’établissements du réseau, je sais que l’élastique est tendu à l’extrême limite, partout. C’est un miracle qu’il ne soit pas encore pété. Certains chantiers m’apparaissent prioritaires parce qu’ils permettront de redresser la barre, de changer la culture. En voici cinq. Et vous, par où commenceriez-vous?
Dresser un bilan
Les nouveaux gouvernements sont prompts à passer au peigne fin l’ensemble des dépenses de l’ancien régime. C’est un exercice sain, évidemment. Toutefois, il est rare qu’ils examinent avec la même ferveur les impacts des compressions budgétaires décrétées par leurs prédécesseurs. Or, après neuf ans de mesures néolibérales du PLQ et 18 mois du PQ, qui ne s’est pas particulièrement distingué à cet égard, les impacts sont nombreux et fort concrets. Ils le sont pour les usagers des services publics dont le niveau des services et la couverture rétrécissent sans cesse comme pour les travailleuses qui les maintiennent à bout de bras. Chaque compression a désormais un impact direct sur les services, les établissements n’ont plus aucune marge de manœuvre. C’est même l’avis de l’AQESSS, qui exige du gouvernement de lui dire quels services couper si les compressions continuent.
J’attends d’un ministre de la Santé et des Services sociaux qu’il défende les services publics bien plus que des coupes budgétaires irréalistes. Surtout, la transparence et la franchise commandent qu’on ne nous dise jamais plus que de nouvelles coupes se feraient sans impact sur les services. C’est impossible, nous le constatons chaque jour.
Arrêter la privatisation
Sous-traitance, privatisation, agences privées de personnel, cliniques de chirurgie privées, assurances privées, contrats de gestion, partenariats public-privé, déplacements d’usagers du public vers le privé… De plus en plus de lézardes apparaissent aux fondations de notre régime public. Souvent, ces recours au privé sont vus comme des solutions à court terme pour pallier les dysfonctionnements du système. Parfois, ce sont les administrations locales qui font ces choix ne sachant plus trop quoi inventer pour tenter de boucler leur budget dans un contexte difficile. Souvent, ces recours au privé sont financés à même d’autres enveloppes que le budget général ce qui permet aux établissements de maintenir les services même s’il en coûte pas mal plus cher, au final, aux contribuables. Les élu-es aussi sont plus ou moins tentés de faire appel au privé, souvent plus par idéologie ou par la volonté de remercier des amis du régime que par une réelle volonté d’améliorer les services.
On peut espérer que la folie des PPP soit terminée, compte tenu des échecs déjà constatés dans les établissements de santé, en ce qui a trait au contrôle des coûts et de la transparence de gestion. Toutefois, pour boucler la boucle, il faudra réintégrer ces établissements dans le secteur public. Tout ministre de la Santé et des Services sociaux doit prendre au sérieux les conséquences qu’entraînent les privatisations : moins de transparence et de reddition de compte, coûts de revient plus élevés à cause notamment des marges de profit, perte de contrôle et d’expertise dans le secteur public.
La plupart du temps, des solutions publiques existent aux problèmes réels, quels qu’ils soient. Il est aberrant que, trop souvent, on ne prenne même pas la peine de les étudier véritablement avant de faire affaire avec le secteur privé.
Respect des salarié-es
Les travailleuses et les travailleurs du réseau de la santé et des services sociaux demeurent son plus grand acquis. Ils disposent des connaissances techniques et professionnelles, ils constituent toute l’expertise du milieu. Dans la plupart des milieux de travail où des changements ont été apportés pour le mieux, que ce soit dans l’organisation du travail ou celle des services, cela s’est fait avec les intervenantes et les intervenants, souvent même à leur instigation! Pour améliorer les services, il y a urgence de reconnaître pleinement la contribution des salarié-es dans tous les départements, dans tous les établissements. Il faut miser davantage sur l’autonomie professionnelle, le professionnalisme et l’expertise des travailleuses et des travailleurs. Augmenter le nombre de cadres, recourir à des méthodes de gestion propres aux chaînes de montage du secteur privé et multiplier les recours à la sous-traitance, tout ceci aggrave les problèmes bien plus que ça n’améliore la situation.
Jeunes en difficulté
Dans l’angle mort du ministère de la Santé, on retrouve toujours les Services sociaux. Parmi ceux-ci, les services offerts aux jeunes en difficulté, notamment dans les Centres jeunesse, méritent une sérieuse réflexion. Cela fait des décennies que nous ne nous sommes pas collectivement questionnés sur le niveau et la valeur de ces services pour les jeunes en difficulté, qu’ils aient besoin d’un meilleur encadrement familial ou carrément d’hébergement et de soutien à long terme dans le cas de celles et ceux qui sont sans famille proche. Leur réalité est souvent dure et triste. Notre réseau accomplit toutefois, chaque jour, de petits miracles avec ces jeunes hommes et jeunes femmes que plusieurs croyaient perdus. Ce succès repose entièrement sur les épaules d’intervenantes et d’intervenants dévoués qui se sentent de moins en moins soutenus et qui voient les coupes budgétaires mettre en péril tout ce qu’ils ont patiemment construit.
Rémunération : attirer la relève
Dernier enjeu, mais non le moindre : la rémunération. Aborder cet enjeu de façon pragmatique, c’est d’abord reconnaître que les salaires dans le réseau public sont à la traîne de tout le reste de la société. Depuis 2004, les taux de salaire ont augmenté, en moyenne, d’à peine 1 % par année, ce qui est passablement moins que l’inflation. Par conséquent, la rémunération dans le secteur public est aujourd’hui en retard. Pour un même travail, un employé peut espérer gagner au moins 8 % de plus s’il exerce à l’extérieur du secteur public québécois. Et ces données compilées par l’Institut de la statistique du Québec (ISQ), un organisme gouvernemental, prennent en compte les avantages sociaux ainsi que le nombre d’heures travaillées. Décidément, le mythe des «gras durs» du secteur public n’est rien d’autre que cela, un mythe.
La moitié des travailleuses et des travailleurs du réseau de la santé et des services sociaux gagnent moins de 40 000 $ par année. Pour la plupart des emplois dans le réseau, des études de niveau collégial, sinon universitaire sont nécessaires. Or le réseau aura plus que jamais besoin de relève alors que s’annonce la plus intense période de renouvellement de la main-d’œuvre que nous n’avons jamais connue. Le gouvernement ne peut pas ignorer ces faits et envisager, par exemple, comme je l’ai lu avec effroi dans le journal ce mardi, de geler, encore, les salaires des employé-es de l’État. La concurrence entre les employeurs sur le marché de l’emploi pour attirer les meilleurs est actuellement féroce et elle ne fera que grandir. Le secteur public doit redevenir un choix de premier ordre pour mener une carrière.
Nos négociations débuteront bientôt. À cet égard, il nous semble que le bien commun, celui des usagères et usagers et de toute la population, commande une approche pragmatique. Tenter, encore une fois, d’équilibrer les finances publiques sur le dos des salarié-es serait extrêmement dommageable pour l’avenir du réseau public. Le nouveau ministre de la Santé et des Services sociaux, dans ses anciennes fonctions de président de la Fédération des médecins spécialistes, a obtenu que seuls les médecins se partagent 30 % de la rémunération totale du réseau, et ce, sous couvert de rattrapage. Il devrait comprendre que le réseau, c’est beaucoup, beaucoup plus que des médecins et que tous ces salarié-es, contrairement aux médecins, s’appauvrissent d’année en année depuis 30 ans. Nous ne demanderons pas la parité avec les salaires payés dans les autres provinces canadiennes, comme l’ont fait les médecins spécialistes, nous aurons des demandes raisonnables et justifiées. Ce serait une erreur de ne pas être à l’écoute de ces demandes.