On se dit en guerre contre la COVID-19, mais on envoie nos soldats au front sans armes, mal équipés. On parle de nos anges gardiens, mais on leur arrache les plumes une à une. On leur procure de faux sentiments de sécurité avec des directives ou des mesures que la santé publique nivelle vers le bas au gré de la quantité des stocks de masques de protection.
Le manque d’équipements pour le personnel
Alors qu’il était prévisible qu’on doive un jour ou l’autre faire face à une pandémie de ce type, voire pire (avons-nous appris quelque chose du SRAS, du H1N1, de l’Ebola ?), les employeurs et le gouvernement se sont pourtant fait prendre les culottes baissées. Les équipements de protection manquent et les recommandations de la santé publique mettent toujours la barre plus basse en termes de protection du personnel et du public. Les employeurs se livrent au pire : un masque de procédure par jour par employé ! Et encore pire, on va jusqu’à empêcher des travailleurs de porter des masques pour ne pas faire peur aux patient-es. Faut le faire !
Certains, bien intentionnés sans doute, se sont lancés dans le lavage des masques N95, avant même qu’un protocole ne soit homologué au Canada ! Ils le font sans protocole fiable, sans savoir si ça fonctionne vraiment. Cela crée un faux sentiment de sécurité. Ils nous diront que c’est mieux ça que rien ! J’ai la triste impression que nous sommes un gros laboratoire de recherche à l’échelle nationale et que les cobayes sont les travailleuses, travailleurs, et les bénéficiaires de l’ensemble du réseau. En cas d’erreurs, ce sont leurs vies qui sont en jeu et on les compte à 13 heures tous les jours.
La décision insensée de ramener des gens sur le plancher après 7 jours d’isolement
Des travailleuses et travailleurs sont ramenés au travail de leur quarantaine après seulement 7 jours d’isolement, bien qu’ils aient été en contact avec des cas de COVID-19. Il est pourtant prouvé que l’on doit demeurer en isolement pour une période de quatorze jours. On renvoie le monde travailler sans les avoir testés. Pourtant, on sait qu’ils peuvent être asymptomatiques et être porteurs de la maladie, à quoi joue-t-on ?
Le personnel à risque n’est pas protégé
Des personnes immunodéprimées sont encore au travail. Plusieurs ont été dans l’obligation d’aller voir leur médecin traitant, malgré la consigne du premier ministre afin de ne pas engorger le système. Qu’à cela ne tienne, billets en main de leur médecin traitant prouvant qu’il est dangereux de les faire travailler, on les oblige quand même à travailler ou on les renvoie chez eux sans salaire. Des gestionnaires font n’importe quoi et de façon tout à fait arbitraire. Ça me lève le cœur !
Depuis le début de l’urgence sanitaire, nous intervenons pour que le personnel à risque soit mis à l’abri. Les personnes immunodéprimées, les femmes enceintes, les malades chroniques et les travailleurs de 70 ans et plus doivent être retirés des milieux de travail. Nous pensons que le gouvernement doit donner l’exemple en étant exemplaire envers son personnel à risque.
Les soins à domicile mal protégés
Et que dire des auxiliaires des soins à domicile, ces travailleuses vont donner des soins à domicile dans des résidences privées, sans équipements adéquats pour se protéger et protéger leur bénéficiaire. Elles réclament depuis le début de la crise d’être mieux équipé. Elles se promènent de domicile en domicile, au risque de contaminer les patients, dans les transports en commun, leur voiture et retournent chez elles, dans leur famille, avec les mêmes vêtements qu’elles ont portés de patient en patient, la peur au ventre d’avoir été en contact avec un patient asymptomatique, d’avoir chopé le virus et de le refiler à leur famille. C’est inadmissible.
Depuis le début de la crise, nous avons beaucoup parlé des hôpitaux et des CHSLD. Cette semaine, parlerons-nous des soins à domicile ? Et la semaine prochaine, que devrons-nous dénoncer parce qu’on manque d’aide, de matériel adéquat, dans l’espoir que quelqu’un fasse quelque chose ? Dans bien des secteurs, les résidences à assistance continues (RAC), le préhospitalier, le communautaire, les centres jeunesse, les ressources intermédiaires et de type familial, la distanciation physique est bien difficile à mettre en pratique. Imaginez faire de la distanciation physique dans un CPE avec des enfants de deux ans…
Manque de préparation pour faire face à la crise
Pourquoi en sommes-nous réduits à ça ? Nous qui avions un des meilleurs systèmes de santé et de services sociaux au monde. Qu’advient-il du Plan québécois de la lutte à une pandémie de 2006 ? Où sont les stocks de matériel, les plans de contingence ?
Atteinte du déficit zéro, rigueur budgétaire, austérité, démantèlement des services, méga centralisation dans les hôpitaux au détriment de la prévention. Les décisions gouvernementales des dernières années font bien mal.
Des centaines de millions ont été coupés dans les services sociaux. Pendant tout ce temps, nos dirigeants nous ont dit que nous n’avions pas d’argent, que la santé, ça coûte cher, que nous n’avons pas les moyens, que le Québec sera en faillite. Pendant des années, on a choisi l’économie au lieu de la santé de la population. On a cherché à réduire les impôts au lieu d’investir dans la santé de la population. Voilà où ça nous a menés. Aujourd’hui, on a la preuve que tous ces gouvernements ont lamentablement échoué à prendre soin de la population et à bien nous préparer à faire face à une crise comme celle qu’on vit actuellement ! On l’a en plein visage : l’austérité tue.
Les syndicats comme chien garde du personnel et de la population
Tant pis pour les détracteurs du syndicalisme, mais je peux vous dire une chose : heureusement qu’on est là ! Nous sommes au front, tous les jours, pour dénoncer les atrocités d’un système défaillant incapable de prendre soin de tout le monde, autant de ceux dans les lits que de ceux qui gravitent autour d’eux. Chaque semaine, la Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS-CSN) est au front et fait le tour de tous les syndicats dans des conditions hors du commun. Des heures et des heures à passer en conférence téléphonique pour relever, répertorier, dénoncer, chercher les solutions, dénoncer, dénoncer, dénoncer.
Qu’est-ce que ça serait s’il n’y avait pas les militants sur le terrain pour nous informer de la situation dans leur établissement, eux qui s’échinent à expliquer que les travailleurs risquent leur vie et mettent à risque la population parce qu’ils sont mal outillés pour prévenir d’autres morts. Il n’y a plus personne d’imputable dans ce réseau. Un réseau qui travaille dans une approche clientéliste, comme un business, incapable d’avoir du leadership pour imposer aux gestionnaires la bonne marche à suivre.
Mais nous, nous sommes là, nous ne pratiquons pas l’omerta. Tous les jours, sans exception, nous intervenons auprès des ministères et dans les médias pour expliquer à la population dans quel merdier nous sommes plongés. Je ne peux que nous féliciter de faire tout ce que nous avons en notre pouvoir pour protéger les travailleurs et la population. Merci aux officiers syndicaux de tous les établissements qui veillent aux grains. Merci d’être là !
Nous ne sommes pas à l’heure des bilans, mais nous devrons en tant que société au sortir de cette crise repenser notre réseau. Nous devrons comprendre l’importance de faire payer leurs taxes et leurs impôts aux entreprises et aux plus riches de notre société et abolir les paradis fiscaux pour investir dans les services publics. Parce qu’aujourd’hui, nous avons la preuve que nous n’avons pas fait les bons choix et que l’austérité tue !
Au moment d’écrire ces lignes, j’apprends que deux de nos camarades de travail sont aux soins intensifs et luttent pour leur vie. Mes pensées sont avec eux et leur famille.
Monsieur Legault, arrêtez de jouer avec nos vies !
Bon courage.
Judith Huot, vice-présidente de la FSSS-CSN