Lettre ouverte publiée dans le Devoir
La réforme du réseau de la santé et des services sociaux aura été un moment marquant de la session parlementaire qui prend fin cette semaine. Plus d’un an après le dépôt du projet de loi créant l’agence Santé Québec, nous demeurons très inquiets, non seulement en raison de la place que le gouvernement fait au privé et de l’extrême centralisation, mais également face aux reculs démocratiques dans le réseau de la santé et des services sociaux.
Tout le processus ayant conduit à l’adoption de ce projet de loi en dit long sur l’état de notre démocratie. Au lieu d’écouter l’intelligence collective des Québécois et des Québécoises et de s’y fier, le gouvernement a plutôt conçu cette réforme en vase clos et sans véritables consultations. Sans surprise, celle-ci va à l’encontre de plusieurs solutions qui font largement consensus de la part des intervenants et intervenantes sur le terrain et du milieu de la recherche.
La population ne souhaitait pas une énième réforme de structures, mais des solutions concrètes pour un meilleur accès à un médecin de famille, de meilleurs soins et un panier de services élargi (ex. soins à domicile, santé mentale, etc.).
L’adoption du projet de loi sous bâillon constitue une autre illustration des dérives démocratiques. On observe ce même phénomène ailleurs, que ce soit l’ouverture majeure consentie au privé en télémédecine par simple règlement ou encore dans la remise en question de l’universalité et de la gratuité de soins par la commissaire à la santé et au bien-être, sur la base d’un sondage en ligne et de l’opinion de quelques personnes ciblées.
Quant à Santé Québec, nous craignons que cette structure gigantesque éloigne encore plus les citoyens et les citoyennes de leur réseau. Cette agence ne doit pas devenir une grosse boîte noire, inaccessible et opaque. Son conseil d’administration ne peut fonctionner comme celui de n’importe quelle entreprise privée. Les services publics remplissent des missions et assument des responsabilités bien particulières, qui n’ont rien à voir avec une entreprise et ses actionnaires.
Des mesures doivent être envisagées pour renforcer la participation démocratique de la population et des groupes qui ont à coeur le réseau de santé et de services sociaux. Cela pourrait commencer par accorder des places au conseil d’administration et aux conseils d’établissement pour une représentation de la société civile et des travailleurs et travailleuses et, également, par instituer des espaces locaux de participation citoyenne dotés de réels pouvoirs.
Depuis 30 ans, le système de santé s’est transformé à coups de réformes à courte vue, lesquelles ont été instaurées du haut vers le bas. Celles-ci ont imposé toujours plus de contrôle sur les équipes de travail, qui finissent par ne plus se reconnaître dans ce grand ensemble impersonnel. Plutôt que de confier l’avenir du système de santé et de services sociaux à des gestionnaires du privé, on doit faire autrement en favorisant une reprise de possession collective.
Il est urgent de rétablir et de renforcer plusieurs leviers : l’accès à l’information, le débat public, la prise de décision partagée. Pour assurer le respect des droits fondamentaux, les structures de gouvernance doivent tenir compte des diverses réalités et expertises et doivent mettre en place des mécanismes permettant à la société civile d’être informée, de surveiller et d’influencer les grandes orientations et les travaux qui transforment notre système public de santé et de services sociaux.
La démocratie doit cesser d’être perçue comme une embûche ou un mal nécessaire et être reconnue pour ce qu’elle est : une grande force.
Cette lettre a été publiée dans Le Devoir le 10 juin 2024.
Robert Comeau, Éric Gingras, Caroline Senneville, Magali Picard et Julie Bouchard
Les auteurs sont respectivement président de l’Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS); président de la Centrale des syndicats du Québec (CSQ), présidente de la Confédération des syndicats nationaux (CSN), présidente de la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ) et présidente de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ). Ils cosignent cette lettre avec six autres organisations : Fanny Demontigny, présidente du Conseil provincial des affaires sociales du Syndicat canadien de la fonction publique (CPAS-SCFP-FTQ) ; Isabelle Dumaine, présidente de la Fédération de la santé du Québec (FSQ-CSQ) ; Réjean Leclerc, président de la Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS-CSN) ; Jessica Goldschleger, présidente de la Fédération des professionnèles (FP-CSN) ; Sylvie Nelson, présidente du Syndicat des employés et employées de services (SQEES-298) ; Guillaume Bouvrette, président du Syndicat des professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec (SPGQ).