Depuis le dépôt du dernier budget, les annonces de coupures se multiplient dans toutes les régions du Québec. Les établissements du réseau de la santé et des services sociaux, à qui on a déjà imposé de réduire leurs dépenses de façon marquée au cours des dernières années, n’ont souvent pas d’autres choix que de couper dans les services directs à la population.
Lorsqu’on examine en détail la façon dont les ressources financières sont réparties entre les divers postes de dépenses en santé et services sociaux, force est d’admettre que ces nouvelles compressions budgétaires, imposées aux établissements du réseau par le gouvernement Couillard, ont quelque chose de particulièrement indécentes. Pendant que les médecins ont été cherché de grandes hausses salariales, l’ensemble du réseau et de son personnel doit se serrer la ceinture.
L’héritage de Philippe Couillard, ministre de la santé de 2003 à 2008
Philippe Couillard a été le maître d’œuvre des CHU en PPP, qui entraînent les Québécois dans une catastrophe financière annoncée. Il a aussi contribué au développement du secteur privé en santé. Depuis son arrivé en 2003, le nombre de médecins qui se sont désaffiliés de la RAMQ est passé de 68 à 278, une hausse de 308%.
Mais surtout, il a quitté son poste à l’aube d’une période de croissance importante de la rémunération des médecins. C’est qu’en 2007 et en 2011, le gouvernement a signé une entente avec la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ) du Dr Barrette, actuel ministre de la Santé et des Services sociaux, de même qu’avec la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ). Au terme de la période de 2008 à 2014, la rémunération des médecins va avoir augmenté de 67 %, une croissance de 8,9 % en moyenne par année.
L’héritage du Dr Bolduc
Comme si cela n’était pas suffisant, le Dr Yves Bolduc, actuel ministre de l’Éducation, a instauré, en 2010, un nouvel incitatif financier visant à favoriser la prise en charge de patient-es par les médecins de famille. Pour la seule période de novembre 2011 à juin 2012, la RAMQ a versé une somme supplémentaire de 16 millions de dollars aux médecins, soit 4 millions de plus que prévu. De juin 2012 à mai 2013, ce montant s’est élevé à 34,5 millions, soit 1,9 million de plus que les prévisions. Le financement récurrent prévu à compter du 1er juin 2013 a été fixé à 24,3 millions. C’est de cette prime que le Dr Bolduc a bénéficié pour avoir pris en charge des patients pendant 18 mois.
Dépenses médicales à la hausse
Ces hausses salariales, doublées de primes incitatives, ont entraîné un taux de croissance des dépenses médicales de 12,14%, 11,28%, 7,47%, 7,85% et de 4,64% lors des 5 années qui ont suivi le passage du Dr Couillard comme ministre. Durant la même période, les dépenses des autres postes de dépenses en santé (hôpitaux, CLSC, CHSLD, établissements communautaires, médicaments, services aux personnes handicapées, etc.) n’ont augmentées en moyenne que de 4,55%. Dans le cas des budgets des établissements de santé, la hausse a été encore plus limitée, se situant à 3,3%.
Pas étonnant donc qu’on en soit rendu à couper dans les services directs à la population…
Des hausses salariales indécentes et des coupures de services tragiques
Quand on pense aux conséquences tragiques qu’entraînent les actuelles coupures de services dans la vie des gens, ces chiffres ont de quoi indigner. En effet, si on avait contenu les hausses salariales des médecins depuis 2008, pour que les dépenses médicales progressent au même rythme que les autres dépenses en santé et services sociaux (4,55% par année en moyenne), cela aurait permis de récupérer la modique somme de 3 milliards de dollars au cours de ces 5 années, incluant près de 1 milliards pour la seule année 2012-13. Cet argent aurait pu être investi en services directs à la population, au lieu de contribuer à hausser les salaires des médecins, lesquels atteignent aujourd’hui une moyenne de 264 673 $ pour les médecins de famille et de 384 129 $ pour les médecins spécialistes.
Le comble, c’est que si seulement tout cela avait servi à améliorer l’accès et la prise en charge par les médecins de la population québécoise, ce serait une chose. Mais c’est au Québec, province qui compte plus de médecins de famille et de médecins spécialistes que la moyenne canadienne, que la semaine de travail des médecins est la plus courte parmi la plupart des pays industrialisés. De plus, au Québec, le nombre de patients inscrits par médecin est particulièrement faible (1081 en moyenne VS 1539 en Ontario). Cela est sans compter le fait qu’au Québec, les médecins de famille bénéficient du soutien gratuit, payé par l’État, tant en centres hospitaliers qu’en cliniques, de 6,1 professionnel-les de la santé en moyenne comparativement à 4 pour des établissements semblables dans l’ensemble du Canada.
Tout indique donc que ce n’est pas en donnant plus d’argent aux médecins qu’on va régler les problèmes d’accès et d’organisation de la première ligne qu’on rencontre au Québec. Dans un précédent blogue, j’expliquais d’ailleurs qu’une réforme de leur mode de rémunération serait une solution intéressante pour assurer l’avenir de notre réseau public de la santé et des services sociaux.
Le trio des médecins Couillard, Barrette et Bolduc, largement responsable de ce dérapage financier dont la population fait maintenant les frais, a la responsabilité morale de corriger le tir sans tarder. Les ressources financières doivent être réparties équitablement dans le réseau de la santé et des services sociaux et leurs modalités de versement doit permettre au Québécois d’obtenir un accès à des services de qualité plutôt que de contribuer à provoquer l’effet inverse.