Les années 90 furent celles d’une certaine privatisation passive de notre système de santé. D’abord, par des coupures visant l’atteinte du déficit zéro, ayant conduit à un sous-financement des services publics; ensuite, par des mises à la retraite et la détérioration consécutive des conditions de travail, qui ont contribué à la pénurie de personnel; enfin, par un virage ambulatoire insuffisamment financé pour les services prodigués hors de l’hôpital.
La mise sur pied d’un régime provincial d’assurance médicament public-privé et une réaction gouvernementale excessive au jugement Chaoulli ont ensuite ouvert le marché de la santé à l’assurance et à la prestation privées, processus de privatisation active. Les lois 33 et 34 ont ainsi permis la création des centres médicaux spécialisés à investisseurs privés, mais financés essentiellement par les fonds publics; et une sous-traitance accrue a augmenté les dépenses et détourné des fonds du public, dont allaient bénéficier les agences privées de personnel, l’industrie pharmaceutique, les médecins entrepreneurs et les entreprises engagées dans les PPP. Nos patients, qui paient dorénavant des frais accessoires illégaux et une taxe santé, sont de plus en plus confrontés à un choix: attendre au public ou payer pour accéder rapidement à des soins privés.
Des idées pour changer
Un changement de gouvernement peut toutefois être l’occasion de renverser la vapeur. Des idées intéressantes ont d’ailleurs fusé durant l’actuelle campagne électorale. En appliquer un nombre restreint permettrait à notre réseau de rapidement mieux se porter. Les propositions de QS et d’ON, axées sur la défense du bien commun, rejoignent d’abord les orientations de MQRP, notamment une couverture publique et universelle d’assurance médicament, étape importante pour améliorer la couverture, favoriser l’équité et mieux contrôler les coûts.
Entre les trois grands partis susceptibles de former le prochain gouvernement, les programmes comportent aussi des thèmes communs dont nous pouvons saluer la pertinence: le soutien du régime public, les soins aux personnes âgées, le volet prévention et l’accès à un médecin famille. Pour ce qui est des médecins de famille, l’approche graduelle du PQ et du PLQ nous apparaît plus réaliste que celle plus radicale de la CAQ : il faut aussi se méfier des promesses garantissant un médecin de famille pour chaque Québécois, présentées sans plan de relève pour les soins prodigués dans les hôpitaux; améliorer l’accès à des soins de première ligne ne peut se faire sans une réorganisation en profondeur, incluant la mise sur pied d’équipes multidisciplinaires dans le réseau public, un réseautage territorial et un meilleur accès à l’imagerie médicale.
Des inquiétudes légitimes
D’autres propositions suscitent toutefois de plus d’inquiétude. D’abord cette volonté commune aux trois partis de financer les établissements à l’activité, qui consiste à attribuer le budget en fonction des soins prodigués. Un tel « paiement à l’acte », pourtant critiqué quand il s’applique aux médecins, alourdirait l’administration des établissements et favoriserait la réalisation d’actes simples et rentables au détriment du traitement plus complexe des grands malades. Il serait pourtant possible d’améliorer le système actuel de budgétisation des établissements pour mieux l’adapter aux besoins des patients. Avant tout ne pas nuire!
La volonté de la CAQ d’accroître le recours à la chirurgie privée payée par le public, dans des cliniques commerciales de type Rockland MD, nous étonne également. La CAQ a beau répéter que le privé n’interviendra que si un réseau public de chirurgie utilisé à son maximum (+ 18% ) n’arrivait plus à répondre aux besoins, on sait bien qu’à ce niveau de productivité, il n’y aurait plus de listes d’attente significative, rendant ainsi caduque l’idée de s’ouvrir au privé. Alors, pourquoi proposer du même souffle, comme le docteur Barrette durant le débat santé la presse, que si un «’gouvernement courageux comme celui de la CAQ ouvrait la porte au privé conventionné, il pourrait ne plus y avoir d’attente en chirurgie.»
Le point 39 des propositions de la CAQ est davantage problématique: un projet-pilote de mixité en santé, proposition provenant du programme de l’ADQ. Pourtant, nous avons déjà un tel projet-pilote au Québec. C’est la radiologie! Seul domaine où le médecin peut pratiquer au public (à l’hôpital) et au privé (en clinique), avec les impacts néfastes que l’on connaît. Même la CAQ constate que ça fonctionne mal: sinon pourquoi rapatrier l’échographie sous couverture publique, comme tous les partis le souhaitent dorénavant? Sachant que l’ex-président de la FMSQ mène par ailleurs un recours juridique contre le gouvernement pour élargir la mixité des médecins spécialistes, quelle sera sa position comme ministre sur la question?
En théorie, tous les partis semblent d’accord pour défendre le public. Mais dans le passé, PQ et PLQ n’ont pas toujours agi en ce sens; et plusieurs engagements de la CAQ inquiètent pour l’avenir. Le message est donc évident: peu importe le parti au pouvoir, il nous faudra rester vigilants pour préserver notre régime de soins public, universel et équitable.