Lorsque le gouvernement a présenté ses demandes à la table de négociation en décembre dernier, je me suis dit : « Voyons, mon gouvernement ne peut pas faire cela !».
J’apprenais alors, à l’instar de millier d’autres travailleuses du réseau public de la santé et des services sociaux, que mon employeur – le gouvernement – entend nous retenir, pour ne pas dire nous « détenir », deux ans de plus. Au lieu d’agir sur les conditions de travail, c’est la solution qu’il a trouvée pour combler les besoins en personnel. Ainsi, en dépit de mes 35 ans de service en soins infirmiers au CHU Sainte-Justine, le gouvernement veut me forcer à travailler deux ans de plus que ce que j’avais prévu. Et c’est sans compter qu’il vise aussi à diminuer notre rente de retraite.
J’ai donc pris quelques pas de recul afin d’analyser factuellement le tout. Il ressort que le parcours professionnel et les conditions de travail exercent une influence importante non seulement sur l’espérance de vie, mais aussi sur l’espérance de vie en bonne santé.
En résumé, plus je travaille dans des conditions stressantes, en surcharge et avec le sentiment d’être condamnée à faire fi de l’humain qui nécessite mes soins, moins je risque d’être en bonne santé à ma retraite et conséquemment, moins je vivrai longtemps. OUF !
Déjà en 2021, parmi les dossiers de lésions professionnelles acceptés par la CNESST dans le réseau de la santé, 85 % des personnes souffrant de maladie professionnelle étaient âgées de 55 ans et plus. Les personnes de plus de 45 ans étaient surreprésentées pour douleurs musculosquelettiques et épuisement professionnel.
Une étude canadienne menée auprès de salarié-es du domaine de la santé démontre entre autres que la surcharge de travail, un faible soutien relationnel et peu d’autonomie décisionnelle sont néfastes pour la santé physique et psychologique des travailleuses et des travailleurs.
Par ailleurs, tous les experts soulignent que pour faciliter l’adaptation à la retraite, cette importante décision de vie doit être VOLONTAIRE. En ce sens, obliger une personne à demeurer au travail l’expose à des troubles psychologiques et d’adaptation.
C’est donc dire que si cette proposition se concrétise, des milliers de femmes comme moi risquent de vivre moins longtemps et en moins bonne santé une fois retraitées. Cela nous amène à un autre angle mort de la position gouvernementale : l’impact sur les mères, les grands-mères et les filles de notre population vieillissante.
Pour chaque heure de soins reçue dans le réseau de la santé au Canada, les proches aidants – dont la majorité est âgée entre 45-64 ans et dont 60 % sont des femmes – font trois heures d’appui et de soutien. Il est impensable de se passer d’elles.
Depuis des années, la demande pour des services de maintien à domicile augmente continuellement, mais les services publics n’ont pas été prévus pour y répondre : ce sont alors ces femmes qui pallient le désengagement de l’État.
Une étude de 2016 révélait qu’une aidante sur cinq remarque une détérioration de sa santé physique ou émotionnelle au cours des 12 derniers mois. De plus, la moitié d’entre elles se sent inquiète ou angoissée tandis que 51 % se disent fatiguées. Le gouvernement a lui-même reconnu que le surcroît de responsabilités inhérentes à ce rôle entraine des répercussions considérables sur leur vie familiale, sociale et professionnelle, sur leur mode de vie, sur leur santé physique et mentale ainsi que sur leur situation financière.
Selon ces informations, vision étroite du gouvernement Legault ou discrimination féminine ? La question se pose.
Nadia Joly, Assistante infirmière-chef au CHU Sainte-Justine et représentante de la catégorie 1 à la FSSS CSN
Lien vers l’article: https://www.journaldemontreal.com/2023/08/10/repousser-lage-de-la-retraite-est-ce-vraiment-une-solution-monsieur-legault