
À l’aube de la consultation gouvernementale pour l’élaboration de la prochaine politique nationale en soutien à domicile (SAD), le comité de coordination d’action politique a invité Anne Plourde, de l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS), pour un mardi d’action politique sous le thème « réussir le virage du SAD au Québec ».
D’entrée de jeu, la chercheuse a souligné les orientations préoccupantes du gouvernement de la Coalition avenir Québec en matière de SAD notamment :
- l’actuelle austérité budgétaire et les coupes en SAD ;
- la privatisation accrue de la prestation de services ;
- la brèche vers la tarification.
À l’heure actuelle, les fonds du gouvernement en SAD servent à sous-traiter à l’entreprise privée une grande partie des services. En 2023-24, le taux de recours à la main-d’œuvre indépendante en aide à domicile de courte et de longue durée s’élevait à 38 %, soit près du double qu’en 2015-2106.
Cobayes
La CAQ se sert aussi du SAD comme terrain d’expérimentation pour sa « nouvelle gestion publique ». Mme Plourde a rappelé les caractéristiques de ce mode de gestion basé sur celui de l’entreprise privée :
- « maigre » : faire toujours plus avec moins ;
- industrielle : standardisation et minutage des interventions ;
- hiérarchique et autoritaire : chaînes de commandement « top-down » et réduction de l’autonomie professionnelle ;
- bureaucratique : contrôle de l’efficacité par des indicateurs de performance et la production de statistiques.
Cette nouvelle gestion publique, jumelée au sous-financement et à la privatisation, résulte en des problèmes d’accès graves (10,7 % de taux de réponse aux besoins en SAD) et en dégradation de la qualité. Celle-ci se traduit par une déshumanisation des soins, de mauvaises conditions de travail, un roulement de personnel, un manque de continuité des services, du travail à la chaîne et une formation moindre, pour ne nommer que quelques impacts négatifs.
Inspirations
Dans le but de proposer un modèle de SAD pour le Québec, la chercheuse de l’IRIS s’est penchée sur deux modèles implantés dans plusieurs pays, soit les modèles assurantiel et nordique.
Le modèle assurantiel se base sur une assurance-autonomie, dotée d’un fonds dédié, un peu à l’image de l’assurance-emploi au Canada. Il se caractérise par une couverture limitée et une universalité restreinte. Pour sa part, le modèle nordique offre plutôt une couverture complète et quasi gratuite, financée directement par les impôts.
Proposition
Pour poser les bases d’un modèle de SAD pour le Québec, il est impératif d’éviter les erreurs de la nouvelle gestion publique et de la privatisation, a soutenu Anne Plourde. Pour y parvenir, elle propose de confier l’intégralité de la prestation des services de SAD aux centres locaux de services communautaires (CLSC). La gestion des services serait confiée à 400 pôles sociaux de première ligne, c’est-à-dire des instances décisionnelles décentralisées avec des conseils d’administration élus démocratiquement.
Pour réussir une fois pour toutes le virage vers le SAD, le gouvernement doit aussi y investir de façon massive. L’étude de l’IRIS démontre clairement que le manque de moyens allégué par l’actuel gouvernement et ses prédécesseurs n’est qu’un mythe. C’est malheureusement sur ce mythe que sont basées la tarification des services et la privatisation.
Mme Plourde a rappelé le mirage du privé, qui n’offre que des économies à court terme. Cette diminution de coûts se paie très cher à moyen et long terme lorsque les ressources privées deviennent essentielles au fonctionnement du réseau. À titre d’exemple, depuis 2015-2016, la différence de coût horaire entre la main-d’œuvre indépendante et le personnel du réseau public en SAD s’est creusée à l’avantage du privé pour atteindre 6,50 $ l’heure en 2023-2024.
En résumé, le modèle nordique montre qu’il est possible d’investir massivement sans ruiner les finances publiques. D’ailleurs, ces investissements dans le SAD généreront une réduction importante des dépenses totales de santé. Toutefois, les sommes investies doivent s’accompagner du maintien de la gratuité des services et de leur déprivatisation complète ainsi que de la mise au rancart de la nouvelle gestion publique caquiste.