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    • 26 MAR 18
    Entrevue avec une travailleuse sociale : au cœur de l’intervention sociale

    Cette semaine nous célébrons la semaine des travailleurs et travailleuses sociales, sous la thématique : le travail social dans tous ses états. Dans ce cadre, mon ancienne collègue et amie Marie-Pier Laforest, travailleuse sociale, a accepté de se prêter à l’exercice afin de nous livrer un témoignage transparent et authentique des nombreux défis vécus par les TS qui œuvrent dans le Grand-Nord ainsi que les impacts de cette expérience sur sa vie personnelle et professionnelle.

    Cette entrevue reflète bien la capacité d’adaptation des travailleuses sociales et l’incontournable travail qu’elles font. Cela nous rappelle l’importance fondamentale de revisiter l’organisation du travail et de leur réserver un espace de choix.

    Avant de rentrer dans le vif du sujet, peux-tu nous faire un petit tour d’horizon. Quel est ton profil et qu’est-ce qui t’a poussé à poser un congé nordique ?

    Il y a quelques années, j’ai participé à un programme dans lequel j’ai fait la promotion de la langue française en Colombie-Britannique et j’y ai vécu mon plus grand choc culturel. Moi qui étais une grande voyageuse, ça me surprenait de vivre ça dans mon propre pays. Ça m’a donné envie d’en apprendre plus sur les populations du Québec. J’entendais beaucoup parler des populations autochtones dans les médias et je me souvenais vaguement de mes cours d’histoire, alors j’ai eu envie d’aller à la rencontre de ces peuples.

    Savais-tu à quel type de défis professionnels tu allais faire face ?

    Non. Je n’avais aucune idée de ce qui m’attendait vraiment. Après avoir fait l’entrevue, on m’a offert le poste et je suis partie.

    As-tu eu une période d’orientation, une mini formation avant ton déménagement ?

    Non ! Je suis arrivée dans le néant total. Je me souviens de la première journée. Tout le monde me disait : « oh, mon dieu, tu vas avoir de la job ! » C’est alors que j’ai réalisé que j’étais la première TS allochtone à arriver dans la région. De plus, personne ne semblait savoir vraiment quel était mon rôle.

    Qu’est-ce que tu veux dire ?

    Que je ne savais même pas dans quel programme j’étais envoyée. Il n’y avait pas de définition de tâches, je n’ai jamais vu de description de programme. Ma seule définition de tâches était que je savais que j’allais travailler avec les 10-30 ans.

    Le problème de ce flou, c’est que bien des choses se ramassent dans ta cour ! Une des choses qui m’a marqué dès le départ, lorsque j’ai fait face à la pile de requêtes, c’était l’ampleur et la diversité des problèmes. Je venais d’un milieu de travail surspécialisé. Je travaillais au guichet d’accès santé mentale adulte. Les problèmes auxquels je devais répondre étaient clairs, le profil des usagères et usagers était bien défini. Là, je devais faire face à des choses que je n’avais jamais vues avant.

    Déjà que c’est un défi d’être une travailleuse sociale dans le réseau, je me demandais vraiment comment j’allais faire pour naviguer dans ce nouvel emploi seule.

    Ça devait être étourdissant au début !

    Étourdissant tu dis?! À cela évidemment s’ajoutait le manque de ressource incroyable ! Quand tu as une femme victime de violence conjugale, mais que tu ne sais pas où la référer, tu te sens tellement impuissante !

    Aucun partenariat n’avait été mis en place. À cela s’ajoutaient évidemment la méconnaissance des réalités autochtones, la barrière linguistique, les préjugés respectifs, bref, malgré la proximité, on était très seules. Ce qui était très paradoxal pour nous, puisque, comparé aux autres villages, on était à moins de 100 km de Chibougamau.

    L’enjeu majeur, c’est que nous sommes formées et habituées à travailler avec de grosses équipes en interdisciplinarité ! Les consultations cliniques et les discussions de cas font partie de notre quotidien et nous permettent d’ajuster nos interventions et de prendre du recul.

    Quand j’ai su qu’une autre TS allait venir travailler dans la clinique, ça a tout changé et ça m’a donné la force de rester. Parce que le plus dur c’est le manque de support clinique. De travailler en collaboration avec une collègue qui a la même formation, les mêmes valeurs, les mêmes contraintes professionnelles ça facilite tellement la mise en place de projets, de programmes, l’autoréflexion sur nos interventions, l’échange d’outils, etc.

    Quels autres enjeux ont rendu ton intégration difficile ?

    Mes collègues autochtones me disaient qu’ils étaient habitués à voir les blancs venir et repartir. Et les usagers c’était pareil ! Ça prend du temps avant de gagner la confiance de la communauté.

    Par contre, quand je suis partie, j’ai senti que j’avais réussi à vraiment m’intégrer. Dans mon équipe, j’étais la seule allochtone et je participais à un maximum d’activités avec mes collègues. J’ai été cueillir des bleuets chaque année, je suis allée à la chasse, j’ai été famille d’accueil, j’étais invitée aux fêtes de village et de famille.

    Nomme-moi un élément positif qui a marqué ton travail.

    Les services offerts en dépendance. Ils sont vraiment adaptés à la population.

    Quels conseils donnerais-tu à une TS qui décide d’aller travailler dans les terres Cries ?

    D’avoir une grande ouverture, d’être curieuse, mais surtout d’être autonome et de prendre le temps de bien s’intégrer. De ne pas avoir peur de le dire lorsqu’elle n’a pas la réponse et de prendre le temps de s’informer.

    Qu’est-ce que ton expérience t’apporte aujourd’hui dans ta pratique ?

    Te souviens-tu quand on a fait la tournée des bureaux et des services pour faire la promotion de notre profession. Expliquer notre rôle, nos limites. Ça, c’est quelque chose que je retiens et que je ramène dans mon travail aujourd’hui. Les gens ne connaissent pas notre rôle ! Ils ne savent pas ce que ça mange en hiver une TS. Ils ne connaissent pas la diversité du type d’intervention qu’on peut faire.

    Ça me rappelle ce que j’ai dit au ministre Barrette la semaine dernière ! S’il veut améliorer les services à la population, il faut sortir de la logique médicalocentriste et offrir plus d’autonomie aux professionnels et aux techniciens. Tu en penses quoi de ça ?

    Totalement d’accord. Il faut absolument investir au niveau psychosocial ! Quand les gens comprennent bien notre rôle, ça change tout ! Les grands utilisateurs du réseau sont les gens les plus vulnérables. Tant qu’on centrera les services sur les médecins, on ne règlera pas le problème. C’est le rôle des TS de mettre en place des filets de sécurité, des plans d’intervention et de référer les gens au bon endroit.

    Tu te souviens le temps que ça a pris pour mettre en place quelque chose à Mistissini. Le nombre d’ados qu’on retrouvait en attaques de panique à l’urgence et que personne ne nous contactait !

    On oublie trop souvent que le rôle et la force de la TS c’est de faire un portrait global de la situation et de la personne.

    As-tu un mot de la fin ?

    Oui, je conclurais en disant que travailler dans le nord c’est une expérience extrêmement enrichissante tant au niveau professionnel que personnel. Et en plus, ça nous forme à offrir des services de qualité aux autochtones qui consultent à Montréal ! J’invite toutes les TS à vivre cette expérience !

    Merci beaucoup de ton temps, car on sait que le temps des TS est précieux !

    Marie Pagès