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    • 28 OCT 14
    Le vrai visage de la réforme Barrette

    Que cache réellement la réforme Barrette? Le discours du ministre est à l’effet que sa réforme va améliorer l’accessibilité, la qualité des services à la population en plus d’entraîner des économies potentielles de 220 millions en réduction de l’appareil administratif.

    Lorsqu’on fait le tour des mémoires déposés à ce jour devant la commission parlementaire sur le projet de loi 10, il semble se dégager un large consensus à l’effet que la réforme proposée par le ministre Barrette est loin de répondre à ces objectifs d’amélioration de l’accessibilité et de la qualité des services à la population.

    Un projet de loi qui s’inscrit dans un contexte de privatisation

    Cette réforme offre-t-elle une plus grande place au privé en santé et services sociaux? Pour répondre à la question, il faut regarder le projet de loi 10, mais aussi le projet de loi 15, les projets de supercliniques annoncés par le ministre Barrette et… se souvenir du projet de loi 33, adopté sous le bâillon en décembre 2006 par le gouvernement Charest avec Philippe Couillard comme ministre de la Santé et des Services sociaux. Présenté comme la réponse au jugement Chaoulli rendu par la Cour Suprême du Canada, ce projet de loi a fait en sorte qu’il serait désormais permis de souscrire à une assurance maladie privée, en contradiction avec deux lois québécoises (Loi sur l’assurance hospitalisation et Loi sur l’assurance maladie) qui interdisaient une telle chose.

    Cette ouverture faite à l’assurance privée devait permettre aux compagnies d’assurance de vendre des assurances pour quelques interventions chirurgicales : hanche, genou et cataractes. Ces interventions ont lieu dans des centres médicaux spécialisés (CMS) au sein desquels les médecins peuvent être affiliés ou non à la RAMQ.

    En 2007, la liste des interventions a été allongée par règlement par Philippe Couillard et compte maintenant une cinquantaine de chirurgies, allant de chirurgies du système respiratoire, nerveux ou digestif aux chirurgies gynécologiques, du système circulatoire et autres.

    Pour l’usager, si le service n’est pas dispensé par un médecin affilié à la RAMQ, cela signifie qu’il doit payer de sa poche ou via une assurance privée.

    Comment le projet de loi 10 va encore plus ouvrir la porte au privé

    Le projet de loi 10 vise à renforcer les pouvoirs du ministre tout en réduisant les paliers et le nombre d’instances décisionnels. Par ces nouveaux pouvoirs, le ministre pourra forcer les futurs mégas établissements à entrer en entente de services avec les nouvelles supercliniques qui, on peut le prévoir, seront privées comme le sont les CMS. Ces supercliniques pourront faire croître le volume de chirurgies effectuées à l’extérieur de l’hôpital dans toutes les régions du Québec. En même temps, en raison des compressions de dépenses et du contrôle des effectifs (au cœur du projet de loi 15), les délais d’attente s’allongeront inévitablement dans le public.

    Si on ajoute à cela qu’avec la mise en œuvre du financement à l’activité, sera connu avec précision le coût de chaque intervention, on aura tous les mécanismes en place pour mettre le réseau public en concurrence avec le privé.

    Seront alors en place les conditions de succès de l’émergence de la privatisation du financement et de la mise en place d’un important marché de l’assurance privée. Avec comme perspective de voir les coûts exploser et de voir se développer un système de santé et de services sociaux à plusieurs vitesses comme c’est le cas aux États-Unis. Le système de santé du Québec serait alors une immense occasion d’affaires pour les compagnies d’assurance et les cabinets privés de médecine dont profiteraient certes les médecins spécialistes et les actionnaires de ces compagnies, mais à quel prix pour la population?

    Rien pour rassurer!

    La Fédération des chambres de commerce du Québec salue le projet de loi 10 parce qu’elle y voit de belles occasions d’affaires. Voilà qui a de quoi inquiéter! À ses yeux, les secteurs de l’entretien ménager, les services informatiques, la gestion du parc immobilier, les chirurgies d’un jour, l’hébergement, les soins de longue durée et les soins à domicile pourraient alors être mis en concurrence avec le secteur privé. À cette liste nous pouvons certainement ajouter les services de buanderie et alimentaires.

    De plus, quand le ministre des Finances Carlos Leitao déclare devant l’Association des économistes du Québec que « ce qui compte pour le citoyen, c’est d’avoir le service. Qui le donne, que ce soit l’État ou quelqu’un d’autre, c’est secondaire », on peut donc s’attendre au pire.

    Cette occasion d’affaires sert-elle vraiment le public ou simplement des gens d’affaires? L’exemple peu reluisant des CHUs en PPP devrait nous alerter. Les coûts ont explosé et représentent maintenant 7 milliards $, et ce, sans compter les extras à venir tout au long du contrat de 25 ans. Le vérificateur général du Québec a déjà questionné l’efficacité des PPP dans ses rapports. De plus, un récent rapport d’IRIS indique que l’État québécois pourrait récupérer 4 milliards $ en réintégrant ces établissements dans le secteur public.

    Lorsqu’un gouvernement développe une vision d’entreprise privée dans la gestion des affaires de l’État, c’est l’introduction d’une logique marchande dans les services publics que l’on instaure. En conséquence, il y a perte d’imputabilité, de transparence et d’expertise. Sans oublier l’effet pervers de l’accroissement des inégalités, ce que la population québécoise a d’ailleurs rejeté dans un récent sondage produit par l’Institut du Nouveau Monde (INM).